Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/349

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arrivant en lunettes d’or devant Dieu, auquel elle dirait : Architecte des mondes… » Gautier reprend tranquillement : « Nous admettons parfaitement l’inconscience avant la vie, ce n’est pas difficile de la concevoir après. Tenez, la fable des anciens, la coupe du Léthé, voilà ce qui doit être. Moi je n’ai peur que de ce passage du moment, où mon moi entrera dans la nuit, où je perdrai la conscience d’avoir été… — Il y a cependant un grand horloger, balbutie timidement Claudin. — Ah ! si nous tombons dans l’horlogerie… sais-tu, Claudin, qu’il y a un infini matériel, et que c’est une découverte toute récente… — Oui, oui, c’est le mot de Henri Heine, jette Saint-Victor, nous demandons ce que sont les étoiles, ce que c’est Dieu, ce que c’est la vie. On nous ferme la bouche avec une poignée de terre glaise, mais est-ce là une réponse ?… — Écoute, Claudin, continue placidement et imperturbablement Gautier, en admettant qu’il y ait des êtres dans le soleil, un homme de cinq pieds dans la terre, aurait 750 lieues de haut dans le soleil, c’est-à-dire que les semelles de tes bottes, pour peu que tu portes des talons, auraient deux lieues, la hauteur de la mer dans sa plus grande profondeur ; écoute toujours bien, Claudin : et avec tes semelles de bottes de deux lieues, tu posséderais 75 lieues de masculinité à l’état naturel… — Tout cela est très gentil, mais… fait Claudin se rebiffant un peu — “Catholicisme et Markowski”, voilà ta devise, Claudin, » lui lance brutalement Saint-Victor.

« Voyez-vous, dit Gautier en se rapprochant de nous,