Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/297

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ler. Au déjeuner, il est question des nominations de la Légion d’honneur, passées au Moniteur. À ce propos, Giraud trouve qu’il y a des croix qu’on aurait dû donner, et, poussé par la princesse, finit par prononcer le nom de Carpeaux, déclarant que ceux qui la méritent le plus, sont ceux à qui on la fait le plus attendre.

La princesse, qui a la voix nerveuse et le rire strident d’une femme qui a éprouvé quelque contrariété, la princesse s’emporte, et avec une sorte de colère, soutient que les gens de talent ont le temps d’attendre, qu’il ne faut pas les combler, qu’à force de récompenses, on les endort, qu’il faut qu’ils aient quelque chose à espérer. Giraud ne démord pas de sa proposition, et la soutient, nettement, bravement, carrément.

Quand on l’entend parler ainsi, l’estime vient pour cet homme qui passe pour un courtisan, et qui, dans cette maison, gardant toutes les libertés de la discussion, fait à tout moment passer la voix de la vérité sous le couvert de la blague.

Il pleut, Giraud est parti. La princesse travaille à l’atelier. Elle a repris un portrait commencé, un portrait aux trois crayons de la princesse Primoli, qui pose avec ses beaux et bons yeux, ses noirs cheveux luisants, ses dents blanches, toute la ronde bienveillance de son visage, qui a l’air chatouillé d’envie de dormir.

Hébert, assis derrière la princesse, sans toucher un crayon, préside au travail, et c’est à tout moment :