Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/151

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La journée est accablante de chaleur. Les persiennes fermées, on esthétise dans la pénombre, on cause, procédés, cuisine de style. Là-dessus, Daudet se laisse aller à me parler de la prose, des vers de sa femme. Mme Daudet veut bien me lire une pièce de vers, où des fils dispersés d’un col, qu’elle vient de broder en plein air, la poétesse imagine un nid, fait par les oiseaux du jardin. Cela est tout à fait charmant. Une femme seule pouvait le faire, et je l’engage à écrire un volume, où sa préoccupation soit de faire avant tout, une œuvre de femme.

Elle est vraiment très extraordinaire, Mme Daudet. Je n’ai jamais rencontré un être, homme ou femme, qui ait si bien lu qu’elle, un lecteur qui connaisse aussi à fond les moyens d’optique et de coloration, la syntaxe, les tours, les ficelles de tous les militants de l’heure présente.

Le soleil tombé, l’on monte en canot, et le long de la rive, une ligne à la main, l’on disserte et l’on esthétise encore, dans les menaces d’un orage et les roulements du tonnerre.

Samedi 11 juillet. — L’envie, et l’envie du haut en bas de la société, c’est la grande maladie nationale. J’ai eu un parent très riche et très avare, qui aurait donné de son argent, et pas mal, pour voir tomber du ministère Lamartine, qu’il ne connaissait pas du tout.