Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/291

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gieuse. Sur un coin du divan Mme Charles Hugo est affaissée dans le chiffonnement mou d’une robe de dentelle noire, joliment sourieuse, avec toutes sortes de délicates ironies dans les yeux, pour l’office auquel elle assiste tous les soirs.

Les hommes sont Flaubert, Tourguéneff, Gouzien, et un petit jeune homme inconnu.

Hugo cause de la séduction de l’éloquence de Thiers, faite, dit-il, avec des choses qu’on sait mieux que lui, et d’une foule de fautes de français, et tout cela débité avec une très vilaine voix, — et qui cependant, au bout d’une demi-heure, vous prend, vous intéresse, s’impose à vous.

Et passant en revue les autres orateurs, il ajoute : « Par exemple, il ne faut pas les lire, ces discours, oui, ce sont des conférences, d’aimables conférences, dont l’effet ne dépasse pas le troisième jour… Et cependant, messieurs, dit-il, en se levant, l’ambition d’un orateur ne doit-elle pas être de parler pour plus longtemps que ça… de parler à l’avenir ? »

Je donne le bras à Mme Drouet, et l’on passe dans la salle à manger, où il y a sur la table, des fruits, des liqueurs, des sirops.

Là, les bras croisés sur la poitrine, le corps un peu renversé dans sa redingote boutonnée, et le blanc d’un foulard au cou, Hugo se remet à parler. Il parle de cette voix douce, lente, peu sonore, et cependant très distincte, une voix qui s’amuse autour des mots, et les caresse. Il parle, les yeux demi-fermés, avec toutes sortes d’expressions chatte, pas-