Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/343

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la tête par la porte, et jettent : « C’est X… qui en a demandé 50, et qui en veut 100… Peut-on en donner 15, à Y… Marpon réclame qu’on lui complète son 1,000… Il veut, si le livre est saisi, les avoir dans sa cachette. »

Et dans l’activité, le bruit, le tohu-bohu de ce départ fiévreux, j’écris les dédicaces, j’écris plein de l’émotion d’un joueur qui masse toute sa fortune sur un coup, me demandant, si ce succès, qui se dessine d’une manière si inattendue, va être tout à coup tué par une poursuite ministérielle, me demandant, si cette reconnaissance de mon talent, arrivant avant ma mort, ne va pas être encore une fois éloignée par cette malechance, qui nous a poursuivis, mon frère et moi, toute la vie. Et à chaque tête qui passe, à chaque lettre qu’on apporte, j’attends toujours la terrible annonce : « Nous sommes saisis. »

En regagnant le chemin de fer d’Auteuil, j’ai une de ces joies enfantines d’auteur, je vois un monsieur, qui, mon livre à la main, sans pouvoir attendre sa rentrée chez lui, le lit en pleine rue, sous une petite pluie qui tombe.

Jeudi, 22 mars. — À la descente du chemin de fer, tout d’abord un coup d’œil à la vitrine de la librairie. Il y a en montre des exemplaires de La fille Élisa. Je ne suis pas encore saisi… J’entre au passage Choiseuil, chez Rouquette.