Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/44

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Et quelques instants après me promenant, à la sortie du théâtre avec Paul Alexis, il me dit :

— C’est extraordinaire… J’avais derrière moi, dans une baignoire une femme, une femme bien, une habituée du Théâtre-Libre, qui vient accompagnée, je crois, d’un vieux mari. Eh bien, elle s’est écriée avec un soupir douloureux : « Ah ! que je plains les acteurs de jouer une telle pièce ! » Et, Dieu sait, ajoute Alexis, ce que sont vos acteurs, sauf Antoine.

— C’est clair, si la pièce avait été écrite par Dennery, cette femme se serait écriée : « Ah ! qu’ils sont donc heureux les acteurs qui jouent dans un pareil chef-d’œuvre. »

Je rentre, et trouve mes deux femmes sous l’émotion du récit qui vient de leur être fait d’un assassinat, commis la veille dans la villa.

Là-dessus la petite va se coucher, promenant sa lumière par la maison, et je mange un gâteau, en buvant un verre d’eau rougie, quand Pélagie me dit :

— Entendez-vous des pas, comme glissés sous la fenêtre ?

— C’est vrai… Donnez-moi la canne à épée qui est là, et ouvrez tout doucement la porte.

Pélagie entre-bâille la porte, et aperçoit trois horribles chenapans… dont l’un lui crie aussitôt : « N’ayez pas peur, Madame ! » C’étaient trois agents de la sûreté, déguisés en grinches, qui intrigués par ces promenades de lumière dans la maison, à cette heure indue, avaient cru à une intrusion de voleurs chez moi.