Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/227

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Jeudi 12 avril. — Il est question de Marseille, et Richepin parle assez drolatiquement de deux parentes de sa femme, natives de ladite ville, qui ont passé avec les enfants de l’une, quelques jours dans son logis, et dont le séjour a été pour lui une vraie jubilation. L’une, la mère, très exubérante, très grande parleuse, l’autre une concise, mais formulant des phrases, dans lesquelles était condensée toute l’exagération de la parole méridionale. Ainsi la mère disant de son enfant, je ne sais à propos de quel petit méfait : « Alors j’ai fait des nœuds à mon mouchoir…, et je lui en ai donné…, je lui en ai donné ! — Oui, reprenait la sœur, quand je suis montée à ses cris, sa chair était une bouillie ! » Un autre jour, la mère parlant encore de son enfant, de sa manie de toucher aux allumettes, de sa crainte qu’il n’incendiât la maison, et racontant que pour lui faire peur du feu, elle lui avait tenu un moment le doigt au-dessus d’une bougie, la sœur de s’écrier : « Le pauvre petit…, oui, ça sentait la fonte de la graisse ! »

Heredia, que je remercie de l’envoi de la Nonne Alferez, illustrée par Vierge, me donnait quelques détails sur le grand artiste paralysé. Dans le naufrage de son cerveau, il est resté une case intacte, la case du dessin. Il ne sait plus lire, plus écrire, — oui, plus écrire, en sorte que pour signer maintenant un dessin, il est obligé d’en copier la signature sur un dessin d’autrefois, et cependant, ô prodige ! de la main gauche, il dessine avec sa facilité passée, sur la lecture qu’on lui fait d’un chapitre, d’une page.