Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maintenant, dans ce grand corps paralysé, la santé physique va très bien. Il boit, il mange, fait des enfants, déborde d’une grosse gaieté. Ça ne fait rien, quel malheur, que cette mort d’une moitié de lui-même, et bien certainement de quelque chose de son talent, qui allait faire un si beau, un si original, un si espagnol, Don Quichotte.

Dimanche 15 avril. — On parle de la marche des gens et c’est pour Raffaëlli, l’occasion d’une causerie, où il se montre un grand observateur physiologique. Dernièrement il avait vu, dans la rue, Huysmans fermer son parapluie, et il nous peint le petit frottement des mains contre le haut de sa poitrine qui a suivi, et la contracture des gestes, et l’incurvation du poignet, et enfin la marche de l’homme névrosé, qui n’a pas la grande enjambée ordinaire, mais une enjambée, qui a l’air d’être retenue par une chaîne.

À cette marche de Huysmans, Raffaëlli opposait la marche appuyée sur la plante du pied du Norvégien Thaulow, cette marche pesante et dandinante sur la terre, d’un marin marchant sur le pont d’un navire. Et la marche de Thaulow amène Raffaëlli à peindre ces gens du pôle, si peu assimilables à notre race, et qui, habitant même notre pays, on ne les voit qu’intermittamment, comme ces grands oiseaux de mer, qu’un trop fort coup d’aile rapproche par hasard