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OBLOMOFF.

— Mais pourquoi s’escriment-ils ainsi ? Est-ce par récréation ou pour se dire : n’importe sur qui nous tomberons, le portrait sera toujours ressemblant ? Mais de la réalité vivante, il n’y en a nulle part : il n’y a ni intelligence, ni sympathie ; il n’y a rien de ce que vous appelez, vous autres, « humanitaire. » Rien que de l’amour-propre. Ils ne représentent que des voleurs, des femmes perdues, exactement comme s’ils les empoignaient dans la rue et les conduisaient au poste. Dans leurs livres on entend, non pas « des pleurs invisibles, » mais rien que le rire visible et grossier, la méchanceté.

— Que faut-il de plus ? C’est admirable ! vous venez de vous révéler. Cette méchanceté bouillante, cette persécution haineuse du vice, ce rire de mépris contre l’homme pervers… tout est là !

— Non pas tout ! dit Oblomoff, qui s’enflamme soudain. Qu’on représente un voleur, une femme perdue, un sot bouffi d’orgueil, mais qu’en eux on n’oublie pas l’homme ! Où donc est l’humanité ? Vous ne voulez écrire qu’avec la tête ! criait presque Oblomoff. Vous croyez que la pensée n’a rien à faire avec le cœur ? Vous vous trompez, elle ne fructifie que par la charité. Tendez la main à l’homme déchu pour le relever ou pleurez amèrement sur lui s’il succombe, mais ne le raillez point. Aimez-le, revoyez-vous en lui et comportez-vous avec lui comme avec