Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/273

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Attendons encore une semaine… Qu’en pensez-vous ? sera-t-il d’accord ?

Elle regarda fixement la mère.

— Oui… je ne sais pas… je crois que oui ! répondit la mère. Pourquoi ne s’évaderait-il pas ? Il n’y a pas de danger…

Sachenka hocha la tête et demanda d’un ton sec :

— Vous ne savez pas ce qu’on peut donner à manger au malade ? Il dit qu’il a faim…

— On peut lui donner de tout… de tout ! J’y vais de suite !

Elle alla à la cuisine ; Sachenka la suivit lentement.

La mère se pencha sur le fourneau pour prendre une casserole.

— Attendez, dit la jeune fille à voix basse.

Son visage pâlit, ses yeux se dilatèrent avec angoisse, et ses lèvres tremblantes chuchotèrent vivement :

— Je voulais vous demander… je le sais, il ne voudra pas ! persuadez-le… Dites-lui qu’il nous est nécessaire… qu’on ne peut se passer de lui… que j’ai peur qu’il en tombe malade… que j’ai bien peur… Vous le voyez, le jour du jugement n’est pas encore fixé !…

Elle parlait avec difficulté. L’effort la raidissait toute ; elle ne regardait pas la mère ; sa voix était inégale comme une corde qu’on tend et qui se brise soudain. Les paupières baissées avec lassitude, la jeune fille se mordit les lèvres, et les jointures de ses doigts contractés craquèrent.

La mère fut toute saisie à la vue de cet accès d’émotion, mais elle comprit ; troublée, pleine de tristesse, elle étreignit Sachenka et répondit à voix basse :

— Mon enfant… il n’écoute personne que lui-même… personne !

Les deux femmes gardèrent un instant le silence, étroitement enlacées. Puis Sachenka se dégagea avec douceur et dit en frémissant :

— Oui… vous avez raison ! Ce sont des bêtises… mes nerfs…

Et redevenant grave tout d’un coup, elle conclut simplement :

— Pourtant, il faut donner à manger au blessé !…

Puis, assise au chevet d’Ivan, elle lui demanda d’un ton de sollicitude amicale :