Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/142

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de le supposer ; mes ennemis eux-mêmes le reconnaissaient : ils ne m’attaquaient jamais qu’en masse. Je me défendais vigoureusement ; cependant la bande ennemie finissait toujours par avoir le dessus et je rentrais en général le nez en sang, les lèvres fendues, le visage couvert d’ecchymoses, les vêtements déchirés et poussiéreux.

Grand’mère, effrayée, prenait part à ma défaite :

— Tu t’es encore battu, petit pandour ! Qu’est-ce que cela signifie ? Tu verras, si je m’en mêle, moi aussi…

Elle me débarbouillait, appliquait sur mes meurtrissures une pièce de monnaie ou une compresse et me morigénait :

— Pourquoi vas-tu toujours te battre ? À la maison, tu es tranquille et, dès que tu sors, on ne te reconnaît plus ! C’est honteux ! Je dirai à grand-père de ne plus te laisser descendre dans la rue…

Quand mon aïeul découvrait mes contusions, il ne me grondait pas sévèrement, mais se contentait de crier :

— Ah ! encore des bleus ! Je te défends d’aller t’amuser avec les autres, entends-tu, pendard ?

La rue ne m’attirait guère lorsque la paix y régnait ; en revanche, dès que le joyeux vacarme des gamins s’élevait, je m’évadais de la cour coûte que coûte, malgré les défenses familiales. Les meurtrissures et les écorchures ne comptaient guère à mes yeux ; mais je m’indignais régulièrement de la cruauté imbécile qui présidait aux jeux, cruauté que je ne reconnaissais que trop et qui me rendait furieux. Je me révoltais en voyant les enfants houspiller