Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/143

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les chiens et les poules, tourmenter les chats et les chèvres des Juifs et se moquer des ivrognes, des mendiants et surtout d’Igoucha-la-Mort-dans-la-poche.

Celui-là était un homme de haute taille, sec et enfumé, vêtu en tout temps d’un lourd habit de peau de mouton ; des poils raides se hérissaient sur son visage osseux, comme rongé par la rouille. Le dos voûté, il s’en allait en chancelant, les yeux obstinément fixés à terre, devant lui. Son air fermé, ses petits yeux tristes m’inspiraient un respect infini ; il me semblait qu’une grave préoccupation dominait cet homme tout entier, qu’il cherchait quelque chose et qu’il ne fallait pas le déranger.

Les gamins couraient sur ses traces et lui lançaient des pierres. Longtemps, il paraissait ne pas les remarquer ni sentir les coups ; mais quand sa patience était à bout, il s’arrêtait soudain ; la tête redressée, d’un geste convulsif il enfonçait sur son front sa casquette poilue et regardait tout autour de lui comme s’il venait de se réveiller.

— Igoucha, la mort est dans ta poche, Igoucha, où vas-tu ? Regarde : tu as la mort dans ta poche ! criaient les polissons.

Il appliquait la main sur sa poche ; puis, se baissant vivement, il ramassait une pierre, un petit bout de bois, ou une motte de boue sèche, et, son long bras brandi, grommelait un juron. Son répertoire se réduisait à trois mots obscènes, toujours les mêmes ; sous ce rapport, je dois le dire, ses antagonistes étaient infiniment plus riches. Quelquefois, en boitillant, il se jetait à leur poursuite, mais sa longue