Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/209

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que ma mère avait eu et qu’elle avait remis à quelqu’un. Mais je ne parvenais pas à comprendre en quoi cela pouvait si fort irriter grand-père. Était-ce parce que ma mère avait eu un enfant sans lui en demander la permission qu’il tempêtait, ou simplement parce qu’elle ne lui avait pas apporté ce poupon ?

Il rentra à la cuisine, échevelé, écarlate et épuisé. Grand’mère le suivit, essuyant ses larmes avec la basque de sa blouse. Le vieillard, le dos voûté, s’assit sur le banc : il tressaillait et mordillait ses lèvres blêmes. Grand’mère se mit à genoux devant lui, en disant d’une voix basse et ardente :

— Père, pardonne-lui ; au nom du Seigneur, pardonne-lui ! Il n’est si bon cheval qui ne bronche ! Est-ce que des choses pareilles n’arrivent pas aussi chez les nobles et chez les marchands ! Regarde la femme que c’est et pardonne-lui ! Nous avons tous nos péchés !

Grand-père se rejeta contre le mur, regarda son épouse en face et ricana avec un sanglot :

— Mais, oui, naturellement ! Pourquoi pas ! Que ne pardonnerais-tu pas ? Tu pardonnes à tout le monde, toi ; ah ! vous !…

Il se pencha vers elle, la prit aux épaules et se mit à la secouer en murmurant précipitamment :

— Et le Seigneur, Lui, nous pardonnera-t-il ? Nous voilà au bord de la tombe, et Il nous châtie durement… Dans nos derniers jours, nous n’avons ni joie ni repos et nous n’en aurons pas ! Rappelle-toi ce que je te dis : nous finirons par mendier !