Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La guitare résonnait avec furie ; les talons tambourinaient en cadence ; sur la table et dans l’armoire, la vaisselle s’entre-choquait, cependant qu’au milieu de la pièce, Tziganok planait tel un milan royal, les bras battant comme des ailes. Ses pieds se déplaçaient sans qu’on s’en aperçût, il s’accroupissait en poussant un cri aigu, tourbillonnait, semblable à un martinet doré, et illuminait tout du reflet soyeux de sa blouse, dont le tissu frémissait et ondulait ; on eût dit que tout en lui flamboyait.

Tziganok dansait sans se lasser, oublieux de lui-même et de son entourage ; je me disais que si on lui eût alors ouvert la porte, il serait parti ainsi dansant par les rues, par la ville et je ne sais où encore…

— Vas-y gaîment ! criait l’oncle Jacob, frappant du pied en cadence.

Il poussait une sorte de sifflement et lançait d’une voix agaçante des refrains vulgaires :


Ah ! si je n’avais pas peur d’endommager mes souliers,
Je m’en irais loin, loin de ma femme et de mes enfants !

Les convives toujours attablés s’excitaient aussi, de temps à autre, ils se prenaient à vociférer et à glapir, comme s’ils avaient été échaudés. Le contremaître barbu se tapait sur le crâne en marmottant des paroles indistinctes. Certain soir, il se pencha vers moi ; sa barbe soyeuse couvrit mon épaule et il me dit à l’oreille, poliment, comme s’il se fût adressé à une grande personne :

— Ah ! si ton père était resté ici, c’eût été tout autre chose ! C’était un homme gai et joyeux. Te souviens-tu de ton père ?