Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/53

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le contremaître ; l’autre obéit, fit un saut de côté et s’assit sur le seuil de la porte.

Eugénie, la bonne d’enfant, dont la pomme d’Adam saillait, se mit à chanter d’une agréable voix de basse :



Toute la semaine, jusqu’au samedi
La jeune fille a tissé de la dentelle ;
Elle a tellement travaillé
Qu’elle en est à demi morte !

Grand’mère ne danse pas, elle semble raconter quelque chose. Elle marche lentement, elle se balance, elle est pensive et, par-dessus ses bras, jette des regards sur les assistants. Tout son grand corps s’agite, indécis ; ses pieds tâtent le sol avec précaution. Soudain elle s’arrête, comme si quelqu’un l’avait effrayée ; son visage tressaille et se rembrunit, puis il s’illumine aussitôt d’un bon sourire accueillant. Elle saute de côté, faisant place à quelqu’un qu’elle ne voit pas et qu’elle repousse de la main. Elle baisse la tête, elle s’immobilise, prête l’oreille et sourit toujours plus gaîment ; et soudain, elle s’envole, pareille à un tourbillon ; elle semble plus harmonieuse, mieux proportionnée ; on dirait qu’elle a grandi ; nul ne peut détacher d’elle ses regards, tant elle est redevenue belle, impétueuse et séduisante, en ces instants où elle retourne miraculeusement à sa jeunesse.

La danse terminée, grand’mère reprit sa place auprès du samovar ; tout le monde la complimenta, tandis qu’elle répliquait en lissant ses cheveux :

— Voyons, finissez donc ! Vous n’avez pas vu de véritables danseuses ! Chez nous, à Balakhan, il