Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/70

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fenêtres. Tziganok devenait tout noir ; ses doigts ne bougeaient plus et je ne voyais plus d’écume sur ses lèvres. Au sommet de sa tête et près des oreilles brillaient trois cierges, dont la flamme dorée vacillait et éclairait les cheveux bouclés d’un noir bleuâtre. Sur les joues basanées couraient des ombres jaunes ; le bout du nez pointu et les dents rosées semblaient luire.

Eugénie agenouillée pleurait et murmurait :

— Mon petit pigeon, ma joie, mon chéri…

Il faisait froid et une angoisse particulière m’étreignait le cœur. Je me faufilai sous la table et j’y restai caché. Bientôt, grand-père, vêtu de sa pelisse, fit lourdement irruption dans la cuisine ; grand’mère le suivait enveloppée d’un manteau dont le col était orné de queues, puis survinrent l’oncle Mikhaïl, les enfants et quantité de gens inconnus.

L’aïeul à peine arrivé jeta sa pelisse à terre et se mit à crier :

— Canailles ! faire périr par bêtise un gaillard tel que celui-là ! Dans cinq ans, nul ne l’aurait égalé !

Le vêtement qui traînait sur le plancher m’empêchant de voir Tziganok, je sortis de ma cachette et m’empêtrai dans les pieds de grand-père. Il me repoussa et, de son petit poing rouge brandi, menaça mes deux oncles :

— Loups !

Se retenant des deux mains au banc sur lequel il venait de s’asseoir, il sanglotait sans pleurer et d’une voix grinçante se lamentait :

— Ah ! je savais bien que vous ne pouviez pas le sentir… Ah ! mon petit Tziganok… pauvre enfant !