Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque cette rhapsodie, dont la longueur dépassait les bornes permises, eut été enfin lue, le verre d’eau sucrée à moitié bu, la voix de l’orateur enrouée, le brun Nodaret s’écria :

— Eh bien ! et ce journal !

Alors, posément, avec une attitude de notaire correct, d’avoué irréprochable, M. T… récita un petit discours où il prouvait qu’avec de l’argent on soulevait le monde, d’abord ! Ensuite qu’il suffisait d’être dix littérateurs, jeunes sans doute, mais capables de donner cent francs par mois, pour faire vivre un journal poétique. Il demandait en forme de conclusion, puisque nous étions déjà quatre votants, qu’on le nommât, lui, rédacteur en chef, et nous permît d’aller, par la ville, chercher les six autres futurs actionnaires.

Cela se fait à Paris. M. T…, que je ne nomme point, a pu croire que c’était belle besogne. J’ai vu des gens réputés très respectables faire payer à des naïfs cinquante centimes et un franc par vers inséré. De cette constatation presque banale (tant on connaît d’agences semblables !) je tire deux conclusions : c’est que la poésie est tellement en honneur en ce pays-ci, que, pour conquérir le titre de