Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/42

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« On y (au Sherry) causait beaucoup, on buvait ferme, et on rêvait de l’avenir.

« Dans un coin s’installait, depuis l’heure de l’absinthe jusqu’à l’heure de la fermeture, un grand garçon très brun, avec les cheveux sur le front et la barbe en pointe, comme Mounet-Sully, remarquable par une figure à caractère méridional ; il buvait bien, sans se griser, mais ne soufflait mot, assistant, tranquille, aux grandes discussions artistiques, et menant si peu de bruit qu’on se s’inquiétait pas de lui, et qu’on le regardait comme faisant partie du mobilier — à céder avec le fonds le jour de la faillite !

« — Qui est donc ce monsieur ? demanda un jour quelqu’un.

« — C’est Émile Goudeau, un employé du ministère des finances, répondit dédaigneusement la patronne.

« Et il n’en fut plus autrement question. Bon camarade d’ailleurs, il nous accompagnait souvent dans nos courses à travers Paris, et, toujours solide, ramenait au logis ceux d’entre nous qu’avait incommodés la bière[1]. »

  1. Voltaire du dimanche 3 décembre 1882.