Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/195

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dans les salles des blessés, c’étaient des cris, des appels, des exclamations de colère.

Comme elle passait près d’une civière encore, Michelle entendit ces mots, prononcés avec un accent d’indescriptible haine :

« Voilà l’espionne ! »

C’était un des soldats rencontrés par elle le matin, dans le bois.

« Seigneur Jésus, murmura la malheureuse française, ma croix est bien lourde, aidez-moi à la porter ! »

Cependant, avec son intelligente douceur, elle aidait les infirmiers, et une consolation lui vint le soir de ce jour odieux. Mme Freeman alla vers elle, la main tendue :

« Vous êtes réellement ma compatriote ! » dit l’Alsacienne.

Michelle se jeta dans les bras de l’Alsacienne en pleurant :

« Ah ! si vous saviez ! »

Et, peu à peu, dans les moments libres qu’elles avaient, Michelle conta sa misère, l’écrasement de son cœur, et l’excellente créature comprit, sympathisa, s’émut devant l’impuissance d’une consolation en un pareil moment.

Parmi les blessés qu’on expédiait en Allemagne, pour les y garder prisonniers, se trouvait Georges Rozel. Michelle l’aperçut, assis à terre, saignant d’une large entaille au poignet. Elle alla vers lui, avec des compresses, des bandes ; mais il eut, à sa vue, un geste d’éloignement et détourna la tête.

« Monsieur, je vous en supplie, demanda-t-elle doucement, laissez-moi faire un pansement, arrêter le sang ! »

Il ne répondait toujours pas, elle voulut prendre cette pauvre main pendante.

« Non, je vous en prie, fit-il enfin. Je suis blessé, vaincu, épargnez-moi. Ma plaie est au cœur ; c’est de la déception et du remords qui en découlent. Rien, jamais ne pourra