Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/343

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de sa rustique enfance une belle santé que rien ne troublait.

Parfois sous les arbres, au sommet des montagnes du Jura, elle entendait des coups de feu. Et elle se rappelait l’époque où c’était sérieux, où la répétition d’aujourd’hui était un drame. Elle frémissait de souvenir. Souvent aussi l’écho apportait des détonations lointaines, c’étaient les Allemands qui, de l’autre côté de la frontière, faisaient aussi les grandes manœuvres, et elle frissonnait. Une dissension, un incident diplomatique, et les deux ennemis passaient l’un chez l’autre non avec des armes courtoises, hélas !

Un soir hâtif d’octobre, la journée avait été éreintante. Les soldats, dans les champs labourés, s’embourbaient, portant à leurs bottes des kilos de terre détrempée ; les chevaux, glissant, jetaient à terre leurs cavaliers. Et Henri ainsi que François avaient été ravis tout particulièrement de trouver non loin du bivouac, cachée sous les sapins, la roulotte protectrice.

Des chemises de flanelle sèches, un verre de vieux vin tonique, avaient vite triomphé de leur lassitude, et ils étaient retournés au campement où flambait un gai feu devant lequel chantait la soupe.

Le vaguemestre apportait justement le courrier ; et Henri reçut une lettre de Wilhem.

« Nous sommes à cinq cents mètres l’un de l’autre, disait l’officier, ton régiment campe sur la frontière, le mien aussi, juste un pont nous sépare. Ne pourrions-nous nous tendre la main ? Si tu reçois cette lettre à temps, viens dans les bois de Haguenheim, nous y restons campés jusqu’au 28. »

Henri, à ces mots, sursauta.

« Le 28, se dit-il, c’est justement aujourd’hui. S’ils couchent ce soir dans ces taillis