Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/39

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« Père ne possédait donc rien ?

— Tout fut englouti, ma pauvre enfant ; allons, ne parle pas du passé, c’est rouvrir inutilement la plaie saignante de mon cœur. »

La petite courba le front. Très loin, en sa pensée, elle revoyait le bon visage tendre de son père, elle entendait de chères et douces paroles, de grands bras robustes la soulevaient de terre, lui faisaient cueillir des fruits sur de hautes branches et des yeux tristes fixaient les siens avec une infinie tendresse.

Malgré elle, des larmes vinrent noyer ses cils et elle resta silencieuse, perdue en ce passé fugitif…

Après le frugal repas, elle remit tout en ordre, courut au jardin ramasser les légumes pour le soir, puis elle se dit que pour la venue de sa mère, il fallait donner à la maison un petit air de fête, cacher par des bouquets les tentures en lambeaux.

Des fleurs, la nature y pourvoyait, les petits oiseaux en semaient dans leur vol car le jardinier ne perdait pas son temps en inutile culture. Il plantait des productions maraîchères et vendait aux étrangers tout ce qui était présentable afin de recueillir ainsi le salaire de sa peine.

Mais la dune était là avec ses œillets roses, ses giroflées mauves au feuillage vert d’eau, ses grands chardons bleus, des boules rouges de rosiers nains, venus dans le sable, et les épaisses fougères roussies par le vent salé.

Michelle courut vers la dune, le soleil de midi faisait flamber ses cheveux dorés ; la fatigue, la chaleur avaient rougi ses joues, et son énorme gerbe de plantes liées de longs fils de goémons posée sur son épaule, elle allait, enfonçant à chaque pas dans le sable friable et brûlant.