Page:Gouraud d'Ablancourt - En Aragon, 1926.djvu/8

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dorées voltigent cependant rebelles, autour de ce doux visage, et font ressortir la fraîcheur exceptionnelle d’un teint de Normande pétri d’atbâtre et de feuilles de roses. D’admirables yeux tantôt bieus tantôt violets, rendus plus profonds encore par les cils foncés qui les embragent, ne peuvent dissimuler leur mélancolie envahissante : Madeleine en est saisie malgré elle, à mesure qu’elle s’enfonce dans ce pays si différent du sien.

En face d’elle son mari, Jacques de Santy la contemple avec tendresse. Les traits fins et distingués de cet homme jeune encore sont empreints d’une expression de franchise et de bonté. Depuis un moment son inquiétude et sa compassion pour sa femme augmentent et se reflètent dans son regard, mais elle ne s’en aperçoit pas tant elle demeure absorbée par ses pensées.

— Pauvre chère amie, dit enfin Monsieur de Santy, avouez que vous ressentez des regrets. Votre déception est grande à mesure que vous pénétrez dans l’Espagne de vos rêves… irréalisés.

— Des regrets Jacques ? Certes non ! ne suis-je pas bien partout avec vous et notre chérie ?

— Enfin, vous éprouvez une déception ! n’est-ce pas ?

— Eh bien oui je l’avoue : ceci ne ressemble guère au pays des orangers, des palmiers qui se dessinent sur le ciel bleu, des guitares et des sérénades, sous les balcons de brunes sénoras aux gracieuses mantilles jetées sur de grands peignes, à tout ce que j’imaginais enfin.

— Je vous ai pourtant avertie, avant de nous décider à partir : il vous faudra rabattre unie bonne dose de vos illusions. Vous trouverez dans la patrie chevaleresque du Cid autre chose que du pur idéal, de grands sentiments et surtout des parfums délicieux.

— C’est pourtant dit-on, le pays de la courtoisie, de la noblesse d’idées, et les œillets doivent y sentir si bon !

— Ïl y a certainement une grande recherche de l’honneur, au moins de ses apparences, du haut en bas de l’échelle, comme de la dignité personnelle. Ici le moindre mendiant se fait appeler « Caballero », et les orangers de l’Andalousie embaument ! mais derrière une façade pompeuse vous vous heurterez parfois à des dessous assez terre-à-terre. Quand ce