Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/37

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Déjà l’église était pleine, Tancrède s’étonnait d’être amené là par des incroyants. Il se demandait si c’était l’amour de l’art, ou un besoin de lumière dans l’âme qui conduisait en cette église à ce jour de semaine Sainte, la grand’mère et son ami. Tant de gens vont aux offices pour la beauté des concerts religieux..., mais en résumé, ils y viennent et reçoivent en eux l’impression mystique quand même. La plus petite chose charitable n’a-t-elle pas sa récompense ? Les plateaux des quêteuses s’empliront tout à l’heure, les orphelins pauvres recevront leur part. L’émoi qu’éprouvait le jeune collégien, était singulier, il se sentait chez lui devant l’autel, c’était son Dieu qui dominait d’en haut, ses deux bras étendus pour embrasser l’humanité. Cette vieille femme à sa droite, ce garçon à sa gauche, étaient de la race étrangère, non baptisés, pourtant ils étaient là à genoux. Tous deux, leurs yeux bleus si pareils, levés vers le Grand Martyr Divin. Alors les lèvres du lycéen s’ouvrirent pour une intercession émue : « Seigneur Jésus, « Ils » sont dignes d’être des nôtres, de croire en Vous. Accueillez-les, leur cœur est généreux et doux, ils prient comme le bon larron. »

La musique gagne l’âme, ses accents impressionnent souvent plus que la parole, ils vont faire vibrer les mystères cachés au fond de l’être humain.

L’assemblée très élégante, très recueillie, écoutait religieusement. Le sermon fut un récit tragique, descriptif, poétique. Le prêtre évoqua le paysage empourpré du soleil d’Orient, embrasant la colline du Calvaire, la venue subite des ténèbres, la musique rendit l’effroi du tonnerre, les appels terrifiés des gardes, les sanglots des saintes Femmes. Toute l’horreur du jour terrible, magnifié par l’idée sublime de rédemption, envahit l’assistance. On pleurait, on priait passionnément, la foi planait. Deux dames firent la quête, des mains chargées de bagues, des poignets entourés de bracelets, présentaient le plateau d’argent. Eléna y déposa plié un large billet bleu, la quêteuse lui sourit avec un signe de gratitude. A la sortie du sanctuaire, Mme Consouloudi fut abordée par plusieurs de ses relations, on reprenait en groupe le chemin de chez soi.

Les deux amis se trouvèrent seuls ensemble, Tancrède remarqua :

— Quelle belle cérémonie !

— Oui, mais n’en parle pas devant mes parents, père n’aime pas que j’aille ainsi avec grand’mère à l’église. Moi, cela me plaît tellement !

— Ta grand’mère est catholique ?

— Non. Elle a été élevée dans le culte de la raison pure, seulement elle aime les pratiques catholiques, elle