Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/38

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est bien libre de les accomplir. Ses amies, ces dames qui l’entourent, sont la plupart de cette Foi, pas toutes cependant, je reconnais là-bas, vois, cette belle personne si richement habillée, c’est Mme Isaac Lévy avec sa fille, mariée au banquier Nathanson. Il y a aussi des protestantes, voilà les Malet. Tu sais, pour de belle musique au service d’une bonne œuvre, les cultes se mêlent. Cela t’étonne ?

— Un peu. Je ne connais guère les usages mondains, moi ; quand mes parents recevaient j’étais au collège.

— La société parisienne a les idées larges, demain tu verras chez nous à Paris, autour de notre table somptueuse, des échantillons de bien des cultes, jusqu’à Musurus-Bev, un musulman.

— Le Christ est mort pour tous les humains, se dit Tancrède intéressé par cette sortie hors du petit cercle qui l’enfermait depuis sa jeunesse.

Il voyait les grilles des jolis jardins de l’avenue qu’on suivait s’ouvrir, des groupes s’y engouffraient, l’entourage de Mme Consouloudi s’effritait, ils arrivèrent seuls tous les trois à l’embarcadère. Onda détacha le bateau, les ombres des villas s’étendaient maintenant très longues sur le lac, le soleil bas n’envoyait plus de chaleur. Eléna s’enveloppa de sa cape blanche, les deux garçons prirent chacun une rame et l’on glissa lentement, délicieusement sur l’eau nuancée des lueurs roses du couchant.

A table, l’aïeule dit à ses jeunes convives :

— Je ne vous donnerai pas de viande, mes chers enfants, des œufs, des laitages, des compotes, des gâteaux.

— C’est tellement meilleur ! grand’mère, tu nous as procuré une heure délicieuse, mon ami Tancrède est ravi.

— Oui Madame, je n’avaisj amais entendu d’aussi belle musique, ni une parole aussi éloquente. Comme l’âme s’élève ! on éprouve une impression réellement prenante, on sent la vérité de sa foi.

— Je suis de votre avis, mon enfant. Mais souvent sans musique, sans encens, sans tout ce décor d’hommage au Créateur, j’ai éprouvé dans cette petite église, de sublimes émotions. L’atmosphère des temples chrétiens est saturée de prières, les moindres actes dont on est témoin causent des pensées qu’on ne savait pas avoir en réserve... une onde passe on la reçoit...

— Je comprends cela, Madame, c’est la télégraphie divine.

— Père dit que la foi s’en va, observa Onda, que le peuple est de moins en moins pratiquant. Il nous racontait l’autre jour à la maison, qu’en passant un dimanche, il y a longtemps, par Saint-Gratien, il avait entendu toutes les cloches sonner l’appel à la grand’messe. Par curiosité,