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On entendait les réponses d’Onda : Oui père, c’est la fête de Pâques pour les catholiques en effet, nous pouvons bien rester ici quand même.

— ……

— Oui, nous tâcherons d’amener grand’mère avec nous demain pour le grand dîner.

— ……

— Alors père, bonsoir.

Onda raccrocha l’appareil et vint s’asseoir sur le divan tout contre son aïeule dont il prit la main, l’embrassa :

— Père, dit que tu dois venir dîner demain chez nous.

— J’y consens. Voulez-vous mes amis que nous fassions un petit Mah-jong à nous trois ?

— Non grand’mère, regardons les barques pavoisées qui circulent sur l’eau sombre, et causons encore, c’est si bon d’être avec toi ! On perçoit au loin la musique du Casino, ne cherchons pas la banale distraction en dehors. L’heure est douce entre nous, ne la gâtons pas.

— Comme ils sont heureux ! soupira Tancrède.


V

UN GRAND DÎNER


Jamais Tancrède n’avait assisté à un repas de grand apparat. Il se rappelait bien les somptueuses réceptions données au château de Luçon dans son enfance, mais il n’y était pas admis. Les dernières vacances passées chez lui, n’avaient laissé dans sa mémoire que de tristes complications. Peu à peu on avait vendu les belles pièces d’argenterie, le linge aux couronnes brodées était troué. Dans la cave on ne trouvait guère que des bouteilles vides, son père grommelait, sa mère, nerveuse, avait des mots durs pour ce dissipateur, les domestiques riaient en dessous, on manquait de bougies pour les candélabres. Aux écuries les chevaux des invités n’avaient plus d’avoine. Une misère honteuse montait. Il se rappelait ces choses le pauvre enfant, en prenant place à la table couverte de roses éclairée à giorno par des ampoules électriques cachées dans des gerbes de fleurs. Une argenterie lourde étincelait entre les assiettes en fine porcelaine de Sèvres chiffrées de deux lettres enlacées. De même les verres de mousseline, gravés au chiffre des Consouloudi s’étalaient, en nombre respectable devant chaque convive.

La mère de son ami l’avait présenté à ses deux voisines, Mlles Noémie Peréira et Yolande de Noirmont. Cette dernière lui avait aussitôt tendu la main :

— Mais nous sommes cousins, Monsieur, une Luçon a épousé un neveu de maman.