Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/65

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il avait accepté l’argent, sans songer à dire merci. Maintenant, l’habitude prise, il comptait le soir sa fortune et la donnait à sa mère. Parmi les chauffeurs amenés par les hôtes, se trouvait un personnage intéressant, c’était un prince russe qui, à bout de ressources, en fuite de son triste pays, avait dû se placer n’importe où pour gagner son pain. Il ne savait aucun métier, il apprit vite celui en honneur à présent et qui est en somme, un plaisir : chauffeur d’automobiles. Il s’appelait Féfor Ivanowich Tourguenef. Son maître le traitait en égal, il prenait ses repas à table d’hôte. La plupart des familles se faisaient servir à part au restaurant. Mme Luçon partageait la table de la patronne, son fils devait manger avec le maître d’hôtel et les garçons de service. Cela ne le gênait en rien, il s’assimilait au milieu avec la facilité d’un excellent caractère et d’une conscience très haute. Le Christ Divin, le Fils de Dieu, partageait bien le pain des pêcheurs ! Plus dur lui avait été de revêtir une livrée, mais Mme Clélie Martin, la patronne, avait très délicatement tourné la difficulté, elle avait fait habiller son jeune cycliste avec l’ancien et pittoresque costume breton. Le nom de sa maison rappelait les anciens chevaliers de la Table Ronde, son-courrier en serait l’enseigne. Vêtu de ce costume, Tancrède était charmant. Quand il allait à la gare et se tenait près de la portière de l’auto, attendant les voyageurs, ceux-ci s’empressaient vers sa voiture de préférence aux autres véhicules. Ajoutons à cet aspect, sa grâce parfaite, son langage, sa tenue correcte et nous aurons le descendant des chevaliers du Saint-Graal.

Un matin, en dépouillant le courrier, Mme Luçon eut une exclamation de surprise. Elle fit signe à son fils de venir, il arrosait les palmiers du hall.

— Tiens, lis cette lettre.

Tancrède parcourut la page d’écriture claire :

Enghien, 25-6-25.

« Madame,

« J’apprends par des amis que votre hôtel est le plus agréable de la côte et je viens vous demander si je puis avoir pour les mois d’août et septembre, deux chambres avec vue sur la mer, deux cabinets de toilette, un petit salon et une chambre au même étage, premier ou rez-dechaussée, pour ma femme de chambre. Veuillez me dire Vos conditions.

« Recevez, Madame, mes empressées salutations.

« Eléna Consouloudi ».

Cette lecture achevée, la mère et le fils se regardèrent :

— Cela te contrarie ?

— Ma foi non. maman, Onda connaît ma situation, je