Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/134

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furent écrits avec un sentiment parfait de l’inutilité définitive de tout. Ce sentiment, qui n’est aucunement négateur d’une activité sociale, ne s’oppose pas davantage à l’activité purement cérébrale : il permet au contraire à un esprit de se condenser dans une direction unique, sans regret de tous les possibles, puisque, en somme, toutes les directions se valent, sentiers tracés vers le même néant. Alors on se recueille dans une vie très seule et l’on dissèque M. Babylas, labeur d’autant plus difficile que la psychologie du personnage est plus élémentaire. Babylas est en effet une figuration de la vie représentée par l’absence même de la vie ; c’est la créature à laquelle il n’arrive jamais rien que de très ordinaire, qui se meut dans un milieu on dirait fluide où les chocs sont rares et adoucis, à laquelle rien ne réussit, mais qui, d’ailleurs, n’entreprend à peu près rien ; souffre-douleur né, mais souffrant peu comme il s’amuse peu, Babylas est surtout content d’être assis sans rien faire « dans une pose de petite fille qui s’ennuie à la messe » ; changeant d’âge sans changer de besoins, il est à peine touché par la puberté, enfin meurt encore jeune, ou toujours vieux, sans avoir jamais pu, malgré des luttes contre sa couardise maladive,