Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/266

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milier, tantôt mesuré et stellé de belles métaphores. On y retrouve l’auteur de Vieux, mais plus sobre ; on y retrouve le poète et le critique d’art, mais plus sûr de sa philosophie et plus maître de l’expression de ses idées ou de ses sentiments.

Aurier avait, comme romancier, un don assez rare et sans lequel le meilleur roman n’est qu’un recueil de morceaux choisis : il savait ériger en vie un personnage, lui attribuer un caractère absolu et dévoiler logiquement, au cours d’un volume, les phases de ce caractère, non par de vagues analyses, mais par la mise en scène de faits systématiquement choisis pour leur valeur révélatrice : tel, dans Vieux, M. Godeau ; tels, dans Ailleurs, Hans et l’ingénieur. Cet ingénieur est une merveilleuse caricature : Aurier lui prête des propos d’un comique vraiment énorme et pourtant lamentablement vraisemblables, car c’est encore un autre de ses dons, comme romancier, de n’outrer jamais que le vrai ou le possible : il y avait en lui le génie d’un Daumier, — et Daumier, seul, aurait pu conter avec des images un symbolique épisode aussi amèrement comique que la colère du Dr Cocon accusé d’héroïsme. Aurier serait allé très loin