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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér1, 1922.djvu/216

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l’attitude est belle ? Le poète, selon Baudelaire, doit être un comédien. Et peut-être que sa comédie sera meilleure si elle n’est pas vécue trop profondément. Les grandes douleurs sont muettes ; celles des poètes sont abondantes en paroles, parfois éloquentes. Henri de Régnier est éloquent et abondant. Ce sont des mérites que l’on n’a guère vus en poésie depuis Victor Hugo. L’abondance de Verlaine était d’un causeur plutôt que d’un orateur. Leconte de Lisle était lent à dérouler ses lourdes draperies. Mallarmé fut un silencieux pareil, à ces rochers d’où tombe tous les matins une goutte, une seule goutte d’eau pure. Heredia est encore plus avare de son verbe. Parmi les poètes plus jeunes, quelques-uns sont féconds ; aucun n’a l’abondance harmonieuse et sûre d’Henri de Régnier. Les vers faibles, sans rythme ou sans couleur, sont extrêmement rares dans son œuvre ; sa poésie, aux mouvements bien réglés, s’enroule d’un pas hiératique et mesuré autour d’une idée ou d’un sentiment, çomme une procession autour d’une basilique. Et ce sont des lumières, des orfèvreries, des soies qui éclatent ou luisent, cependant qu’un chant profond assure la régularité des gestes et qu’une pensée divine pacifie les visages.