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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/184

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ennuyeux, ne sont pas gais : ils ne sont même amusants qu’avec modération. Son esprit, je pense, était inséparable de son rire et de ses gestes, et si l’on devine les gestes dans ses opuscules, on n’y entend aucun rire. C’est que peut-être Champcenetz était de fonds moins jovial qu’on n’a cru. C’était un indifférent et qui riait parce que les contacts de la vie déclanchaient chez lui le mécanisme du rire. Il était rieur, comme on est chatouilleux. D’ailleurs, il riait de tout, signe d’indifférence à tout. Le rire modéré, et qui choisit et qui s’épanouit juste au bon moment, est, au contraire, un signe de sensibilité. Enfin, on peut rire soi-même et ne pas faire rire les autres. Les auteurs gais sont quelquefois gais et quelquefois tristes. Tout n’est que contradiction, et les hommes sont tellement divers qu’on ne peut les connaître que un par un. La science de l’homme est chimérique : c’est pourquoi on peut encore écrire en ne redisant pas toujours tout à fait la même chose.

« Mlle Dufay débutait à l’Opéra-Comique. On donnait la Fausse Magie, dont le morceau principal est Comme un éclair, etc. Arriva, tout essoufflé, M. de Narbonne, que la chose intéressait ; il demanda vivement à Champcenetz :

Mlle Dufay a-t-elle chanté Comme un éclair ?

— Non, mon cher, comme un cochon. »