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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/185

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Il disait d’un conventionnel envoyé en mission dans les Pyrénées : « Il va bâtir des cachots en Espagne[1]. »

Voilà l’esprit de Champcenetz, esprit d’à-propos, tel que le possédaient beaucoup de ses contemporains, et les plus obscurs. Tilly cite deux mots très jolis d’un nommé Martin, sur lequel je ne sais rien, sinon qu’il semble avoir été savant et cynique. Dans un café, à Versailles, on sert à Martin du mauvais chocolat. Martin se plaint. « Des seigneurs de la cour qui viennent ici le trouvent très bon, » minaude la dame du comptoir, qui était médiocre. Martin se met à l’œil un morceau de verre qu’il appelait sa lorgnette, fixe la dame et : « Ils vous ont peut-être dit aussi que vous étiez jolie ? » Autre mot de cet énigmatique Martin. A un entr’acte de l’Opéra, un inconnu le regarde fixement. « Suis-je connu de vous ? demande Martin. Quelles sont vos raisons pour me fixer ainsi ? — Un chien regarde bien un évêque. — Qui vous a dit que j’étais un évêque ? »

Vint la Révolution. Ses premières années furent spirituelles et, comme l’espril est une arme de défense, bien plus encore qu’une arme d’attaque, c’est presque exclusivement le camp contre-révolutionnaire qui eut de l’esprit. Rivarol se dédoubla,

  1. Louise Fusil, Souvenirs d’une actrice.