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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/300

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LA LEÇON DE SAINT ANTOINE


Comme on narrait dans la presse l’histoire, qui me passionnait peu, du congrès eucharistique à Londres, j’étais en train de relire, goutte à goutte, comme on boit d’une très vieille et très savoureuse liqueur, la Tentation de saint Antoine. J’aime l’effarement de ce bonhomme d’ermite qui voit dans ses hallucinations défiler les fanatiques de toutes les philosophies, les prêtres de tous les cultes, les nécromans de toutes les magies, les fous de tous les systèmes, de tous les ascétismes et de toutes les luxures. Tout le tente, ce pauvre diable. Il voudrait tant être n’importe quoi, excepté lui-même. Il halète aux voluptés que lui offre la Reine de Saba, mais il admire les Valésiens mutilés qui ont renoncé à tout espoir charnel. Les idées, les croyances et les délires se battent dans sa tête vide. Il n’est pas une aberration humaine où il n’entrevoie une lueur de vérité, mais quand le spectacle est fini, quand le monde entier a passé devant ses yeux avec tout ce qui fut, tout ce qui est et tout ce qui sera, il retombe dans