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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/391

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Caroline, qui me pressait contre son sein, baisait doucement mes yeux mouillés. Quand je fus plus calme, elle ne m’abandonna pas, me disant de ces mots qui feraient fondre les cœurs les plus durs. Nos lèvres se joignirent en un long baiser qui me laissa comme étourdie. Quand je rouvris les yeux et que je regardai Caroline, il me sembla que j’étais liée à elle par un lien plus fort que toutes les amitiés que j’avais connues jusqu’ici.

Ce n’est que le lendemain soir que Soliman me fit demander. On s’y attendait. Une esclave noire avait fait ma toilette. Je mangeai peu. Je me serais évanouie de peur sans la tendresse de Caroline, dont les caresses me faisaient délicieusement frissonner. Elle voulut me conduire elle-même jusqu’au seuil de l’appartement que gardait un nègre très grand, mais gras et si lourd que je me mis à trembler ; je songeais au More de Venise !

« Soliman est un jeune homme très beau, me dit Caroline, qui devina mon impression. Va, donne au maître ce qui est dû au maître ; mais souviens-toi que je t’aime ! »

Elle me baisa sur les yeux et disparut.

Je ne vous conterai pas cette triste nuit de noces. Elle ressemble sans doute à toutes les autres ; mais au lieu que les autres ouvrent aux jeunes filles les portes de la vie, celle-ci m’ôtait du cœur, à chaque