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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/392

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baiser qui accablait ma poitrine, l’espérance d’être jamais aimée par quelqu’un de ma race et de mon rang. J’étais une esclave ; je fus obéissante comme une esclave. Soliman obtint de moi, cette nuit et dans les entrevues qu’il m’accorda ensuite, tous les plaisirs dont dispose une femme, et j’appris même à devancer ses désirs ou à les réveiller.

Ma faveur durait depuis trois mois, lorsque deux femmes nouvelles nous furent amenées par les mêmes gens auxquels je devais ma captivité, une Grecque des Îles nommée Syra, et Louma la Géorgienne, qui devait devenir ma grande amie et mon sauveur. Le lendemain, des trois femmes qui se trouvaient au harem à mon arrivée, deux disparurent. C’étaient deux Arabes chrétiennes d’Algérie. Soliman les avait vendues ensemble, car la tendresse qu’elles avaient l’une pour l’autre n’aurait pas permis de les séparer sans danger, et d’ailleurs Soliman était généreux. « Dans les harems bien ordonnés, me dit Caroline, les femmes sont toujours par nombre pair. » Qui m’eût dit, au temps de ma liberté, qu’un jour je comprendrais tout ce qu’il y a d’ingénieux dans cet arrangement ! Hélas ! je ne le comprenais que trop, car j’y participais avec une passion dont je rougirai le reste de ma vie. J’étais soumise à Soliman, je ne l’aimais pas ; je n’ai même jamais senti pour lui cette sorte de reconnaissance