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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/393

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sensuelle que Caroline, à mon grand dépit, avouait avoir souvent éprouvée en sortant de ses bras. Cet homme, que je n’avais pas choisi, m’était aussi indifférent que les coussins sur lesquels il ruminait sa volupté. La douceur de son accueil, la liberté du harem, des contacts multipliés, les révélations de la salle de bain, je ne sais quelle odeur de perversité que l’on respire là, et le spectacle d’une impudeur innocente que me donnaient les Algériennes, tout cela fit que Caroline devint mon maître ; Soliman n’était que mon tyran.

« Ma famille, pensais-je, doit me croire morte ; et je suis en effet dans un tombeau. C’est à moi d’en sortir puisque nul n’y peut descendre pour me tendre la main. »

J’en parlai à Caroline.

« Fuir ? répondit-elle. A quoi bon ? Sais-tu ce que nous sommes ? Mieux vaut être ici les esclaves d’un seul qu’en Europe les esclaves de tous. Quand j’aurai assez d’argent, je tâcherai de déplaire à Soliman, je m’enlaidirai, je me vieillirai et je m’en irai. Mais pas avant. Va, cette vie en vaut une autre. Ne m’aimes-tu pas, Corinna ? »

— Je l’aime, puisque nous fuirons ensemble.

— Non, dit Caroline, en haussant les épaules, tu ne m’aimes pas puisque lu peux risquer de me perdre. Mais fuir, est-ce possible ? Fuir ? Non. Je