Aller au contenu

Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avait devancé et promenait déjà dans Athènes, non sans impertinence, le trophée Delphique. Oribase apprit en même temps que sa maîtresse, Clélie, qu’il croyait désolée, mais toujours fidèle, venait de s’embarquer pour les Îles avec un marchand syrien dont elle avait fait la conquête. Ce fut un moment douloureux. Tout lui échappait à la fois, la gloire et l’amour. Dans ce désarroi, Oribase se mit à fréquenter les tavernes. Il était devenu un buveur enragé de vin de Chios, lorsqu’un nouveau breuvage, fort vanté par les élégants qui avaient pu y goûter, fit son apparition sur les tables. C’était une liqueur verte qui se préparait avec de l’eau fraîche et qui alors devenait opaline ou laiteuse. Son goût, un peu acre, décelait des sucs d’anis, d’hysope, de mélisse et surtout d’armoise, plante consacrée à Artémis. On l’appelait vin amer, par opposition aux vins naturels de ce temps-là, qui étaient tous très sucrés. Oribase goûta au vin amer et y trouva des charmes. Son génie, obscurci par le chagrin, reprenait, lui semblait-il, des couleurs nouvelles. De taciturne, son caractère redevenait exubérant. Après deux ou trois coupes de vin amer, il se levait tout à coup, déclamait des poèmes, entonnait des chansons. Il est vrai que l’instant d’après, retombé sur son escabelle, il ne tardait pas à s’endormir, la tête sur la table. Les