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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/416

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moments d’exaltation devinrent, par la suite, de plus en plus brefs et souvent il ne sortait plus des lèvres convulsées d’Oribase que des cris rauques ou des invectives obscures à l’adresse de Moréas et de Clélie, qu’il confondait dans une même haine. Le poète Achillardos, qui l’a vu plusieurs fois dans ces moments de délire, a tracé un tableau saisissant de la déchéance d’Oribase. Elle était d’autant plus navrante que, la crise passée, on retrouvait un Oribase, certes très abruti, mais assez docile, pas encore dénué de toute intelligence et ayant gardé intacte une sensibilité des plus vives. Achillardos, né avec un cœur généreux, avait été un des premiers amis d’Oribase. Il résolut de le sauver.

— « Oribase, lui dit-il, un jour qu’il était presque lucide, si tu étais raisonnable, si tu consentais à ne plus boire le vin amer, ou à ne le boire qu’avec la modération d’un sage épicurien, je te présenterais à Gallias, qui est, comme tu le sais, mon illustre ami. Gallias est tout puissant dans les éphémérides démocratiques. Tu as écrit un beau poème sur Socrate, victime des prêtres ; c’est tout à fait dans ses idées. Il peut beaucoup pour toi et je réponds de sa bonté fraternelle.

— Merci, dit Oribase, qui décidément était ce jour-là lucide, mais la place est prise. Tu n’étais pas le seul à penser à moi, on me surveillait. Il paraît