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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/51

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toutes ces parties d’un univers engourdi et tranquille ; il a donné une âme à la douleur et rendu les peines sensibles. Il s’est donc mépris et son prétendu ordre est un affreux désordre.

« Mais nous abandonnons la majeure. Nous supposons, pour un moment, que tout est émané de Dieu. Ce Dieu, en créant l’homme, lui a dit : Tu ne pécheras point ou tu mourras ; et il avait prévu qu’il pécherait et qu’il mourrait… A-t-il prévu que je tomberais, que je serais à jamais malheureux ? Oui, indubitablement. Eh bien ! votre Dieu n’est plus qu’un tyran horrible et absurde. Il donne aux hommes des passions plus fortes que leur raison, et il s’écrie : Je t’ai donné la raison… Qui t’obligeait à me tirer du néant ? Qui te forçait, être tout puissant, à faire un misérable ? Tu te crées des victimes et tu les insultes au milieu des tourments, etc. » Toute l’apostrophe est fort belle. Il conclut : « Je m’en tiens à ce que je ne puis comprendre Dieu ; et là-dessus je n’ai pas plus de motifs d’en croire Moïse que Platon, excepté que celui-ci raisonne mieux que celui-là. » A ce chapitre, l’exemplaire confidentiel porte en note : « (A-t-il prévu que je tomberais, etc.) Cette objection est insoluble et renverse de fond en comble le système chrétien. Au reste, personne n’y croit plus[1]. » Il n’est donc pas

  1. Essai, p. 587.