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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/59

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Les prédictions de Chateaubriand ne sont réalisées ni en Italie, ni en France, ni nulle part, et lui-même, plus que tout autre, a contribué à leur donner un démenti mémorable. Aussi est-il assez piquant de le suivre dans le chapitre[1] où il se demande : Quelle sera la religion qui remplacera le christianisme ? La question, dit-il, est presque insoluble. Mais voilà un « presque » bien superflu, car la réponse de Chateaubriand n’est qu’une suite d’hypothèses qu’il a soin de détruire, à mesure qu’elles se présentent : « Le christianisme tombe de jour en jour, et cependant nous ne voyons pas qu’aucune secte cachée circule sourdement en Europe et envahisse l’ancienne religion : Jupiter ne saurait revivre ; la doctrine de Swedenborg ou des illuminés ne deviendra point un culte dominant ; un petit nombre peut prétendre aux inspirations, mais non la masse des individus ; un culte moral, où l’on personnifierait seulement les vertus, comme la sagesse, la valeur, est absurde à supposer. La religion naturelle n’offre pas plus de probabilité ; le sage peut la suivre, mais elle est trop au-dessus de la foule : un Dieu, une âme immortelle, des récompenses ramènent le peuple de nécessité à un culte composé ; d’ailleurs, cette métaphysique ne sera jamais à sa portée. Peut-on supposer que quel-

  1. Essai, p. 610.