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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér3, 1924.djvu/88

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d’une revue publiée par Jouaust, en 1874. Cette revue, qui s’appelle : Revue du monde nouveau, alla-t-elle plus loin que ce premier numéro ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, je l’exhume du vaste et peuplé cimetière des revues mortes. Les plus beaux noms apparaissent sur cet exemplaire rare : Banville, Dierx, Leconte de l’isle, Sully Prudhomme, Cladel, Zola, Villiers de l’Isle-Adam et celui du directeur, cet étrange Charles Cros, sorte de Léonard de Vinci montmartrois. Stéphane Mallarmé y a donné un morceau précieux. Ceci s’appelle le Démon de l’analogie. J’en cite des extraits les plus caractéristiques[1]. « Je sortis de mon appartement, dit Mallarmé, avec la sensation propre d’une aile glissant sur les cordes d’un instrument, traînante et légère, que remplaça une voix prononçant ces mots sur un ton descendant : « La pénultième est morte », de façon que la pénultième finit le vers et, est morte se détacha de la suspension fatidique plus inutilement en le vide de signification. Je fis des pas dans la rue et reconnus en le son nul la corde tendue de l’instrument de musi-

  1. La citation est habilement tronquée des premières lignes qui expliquent l’idée, ou l’à-propos du poème. Ces lignes diffèrent, là, du texte dernier, mais de forme seulement : elles sont si peu délirantes que je les retrouve, presque mot pour mot dans la Psychologie de l’Attention, de M. Th. Ribot : « Il est arrivé à tout le monde d’être poursuivi par un air musical ou une phrase insignifiante qui revient obstinément, sans raison valable. » (Ch. III, i.)