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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/32

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est secret et discret, prudent jusqu’à se faire ainsi apostropher par Peronne :

J’à couards n’ara belle amie.
(Jamais couard (timide, timoré) ne réussira en amour.)

Sans doute, mais Guillaume, qu’elle méconnaît à ce moment-là, est surtout une sensibilité. La jeune fille en joue à son gré, elle la modère, elle l’exalte, sans guère jamais perdre entièrement la direction d’elle-même. Je ne veux pas dire qu’elle ne trouva pas son aventure émouvante, mais l’émotion de son amant fut assurément plus profonde et plus ingénue. Guillaume de Machaut aurait pu lui dire, s’il avait été plus expert à dissocier les sentiments : « Ce que tu aimes en moi, c’est l’odeur de mes livres ! » Mais il était ivre et jouissait sans réfléchir à ce magnifique exemple de la douce emprise du bien dire sur le cœur incertain des femmes :

Il n’est si dure départie
Comme c’est d’ami et d’amie.

Il fallut se séparer. Guillaume dut se résigner à remettre aux lettres et aux messagers le soin d’exprimer ce qui restait en son cœur de reconnaissance amoureuse : « Mon très doux cœur et ma très chère amour, il me souvient et souviendra de la très douce et sade (délicieuse) nourriture dont votre noble cœur m’a franchement et doucement repu et