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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/36

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regardé par la fenêtre, à son insu, pendant qu’il s’éloignait. Quoi qu’il se soit passé entre eux, elle ne regrette rien, sinon l’heure écoulée dont elle espère le retour. Et quelles appellations tendres : « Mon très doux cœur et mon très doux et très loyal ami. » Presque pas une phrase qui ne soit ponctuée de ces mots qu’elle ne se lasse pas de répéter : « Mon très doux cœur. » Elle reçoit une lettre de lui, se trouve presque mal en reconnaissant l’écriture, va s’enfermer dans sa chambre, s’enivre des dits de son bien-aimé. Guillaume lui adresse une curieuse et belle pièce de vers monorimes où tous les deux vers revient celui-ci :

Mon cœur, ma sœur, ma douce amour.

On n’a peut-être jamais rien écrit de plus tendre, de plus musical. C’est une plainte de harpe et de hautbois, monotone délicieusement. La langue disait alors plour, coulour, chalour ; de tels jeux ne sont plus possibles.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voy ma peine, voy mon labour.
Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voy ma très amère tristour.
Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voy mes meschiés, voy ma doulour.
Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voy que de mort suy en paour…