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Page:Gourmont - Promenades littéraires, sér5, 1923.djvu/83

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nature d’une sensibilité stable, d’une intelligence qui devait à peine connaître l’évolution. Vigny eut toute sa vie l’âge de la maturité, l’âge de la sagesse et l’âge de la tristesse. Né déçu, il vécut et mourut dans la déception et ne tenta jamais d’en sortir. Il appelle cela du désespoir, mais c’est bien plutôt de la résignation, et de la résignation chrétienne — sans christianisme, sans ce qui a rendu supportable le christianisme. On a aussi donné à ce profond sentiment d’amertume le nom de philosophie. Sans doute, et toute manière de considérer la vie est une philosophie, mais à condition qu’elle ait une base logique. La philosophie de Vigny n’est qu’une longue bouderie, une tristesse native cultivée avec un entêtement, un orgueil, une persévérance, une dureté infinis. Je sais qu’elle est encore admirée par ceux qui sont fiers d’avoir dissocié la morale chrétienne d’avec le dogme chrétien, et qui, acceptant l’une, rejettent l’autre ; mais peut-être n’ont-ils pas pesé toutes les conséquences d’une telle dissociation. Vigny, qui avait de la naïveté dans l’esprit, va les éclairer.

« 1824. La deuxième consultation sur le suicide[1]… Là j’émettrai toutes mes idées sur la vie. Elles sont consolantes par le désespoir même. Il

  1. Les Consultations du docteur Noir, dont Stello est la première. Les autres sont restées à l’état de projets consignés au cours du Journal.