Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/184

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Il y avait eu après les derniers mots de Sixtine un assez long silence, pendant lequel Entragues, sans pour cela cesser de s’intéresser cœurement au présent, ne put néanmoins réfréner son imagination d’analyste.

— Je le sais, je le sais trop, répondit Hubert entre deux poses, mais vous me dites d’amères cruautés avec une telle douceur et un tel charme qu’elles me ravissent comme des tendresses. L’avenir, où vous me laissez entrevoir une possibilité de joie, m’apparaît ainsi qu’une imagination d’aurore à un pauvre pérégrin attardé dans les affres d’une noire forêt…

— Imagination, si tel est votre plaisir, mon ami, mais frappez et la source jaillira. Frappez hardiment, que le cœur soit atteint, que le sang parte comme un fleuve, que je tombe entre les bras du meurtrier mourante de joie et mourante d’amour. Je voudrais, je voudrais…

« Ah ! dis-le moi donc ce que je voudrais, continua intérieurement Sixtine, évoque-la donc devant moi, ma volonté, que je la voie de mes yeux, que je la touche de mes mains, tu le peux, toi, tu dois le pouvoir, toi, puisque tu es un homme !… »

Elle attendit une seconde : l’aure d’une crise de nerfs voltigeait et se jouait le long de son échine, la boule grossissante remontait le long de sa gorge ; ses doigts se crispèrent dans la main d’Entragues, elle sentit l’impérieuse nécessité de fuir tout contact et, en se levant brusquement, elle se jeta à son piano, joua fiévreusement une incohérente musique qui la sauva.