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Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/153

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main matin je ne saurai rien. Les lettres sont dans la chambre de mon père… En disant ces derniers mots, Manette leva les yeux au plafond. — Je ne connaîtrai donc jamais ce qu’ils font dans cette chambre ?

Dans cette arrière-boutique s’accrochaient au hasard, s’entassaient pêle-mêle, les ustensiles de la maison : les chaudrons, les fourneaux, les caisses, les vieux sacs, les tonneaux. Les regards de Manette, lancés sans direction, tombèrent sur une double échelle placée dans un angle sous la triple protection de plusieurs planches, d’un voile formé par les toiles d’araignées et d’une obscurité parfaite. Sa curiosité prit tout à couples proportions d’un immense désir ; elle quitta sa place et alla sans bruit vers l’angle ténébreux où était la double échelle. D’un coup d’œil elle conçut son projet et en calcula les difficultés. Aussitôt, avec une délicatesse de voleur, une prudence d’évadée, une attention qui ne se compare à rien, elle transporta sans bruit les planches à un autre endroit, et vint placer la double échelle au milieu de l’arrière-boutique. Que d’autres mouvements n’exécuta-t-elle pas en retenant son pied, son haleine, sa vie, pour ainsi dire, avant d’en arriver à ce premier résultat !

Après avoir éteint sa lampe, elle ouvrit la double échelle, et la disposa de manière à ce que le sommet répondît à l’ouverture du judas. Elle en franchit ensuite les échelons inférieurs, mais avec hésitation, avec crainte, sachant et s’avouant que son action était blâmable. Aussi ses petits pieds tremblaient, posés par la pointe sur les échelons, et plus d’une fois elle faillit se laisser tomber. Son esprit en ce moment était trop préoccupé pour écouter la voix de la froide prudence ; elle revint sans doute plusieurs fois sur sa détermination ; mais enfin, après tous ces combats, et ces reculs, elle se trouva en haut de l’échelle, la tête à une fai-