Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/184

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— Madame votre tante, qui est très-pieuse, comme vous le savez…

— Je n’en savais rien.

— Elle est très-pieuse, au fond ; mais, comme elle ne vous suppose pas de votre côté très-porté pour la religion, elle cache son jeu avec vous. À son âge, quatre-vingt-trois ans, c’est assez naturel… Madame votre tante, donc, a voulu ce matin aller entendre prêcher M. de Ravignan…

— Et c’est là ton excuse ?

— Sans doute, puisque madame de Lostains a désiré que je l’accompagne. Son rhumatisme l’oblige à s’appuyer sur le bras de quelqu’un pour marcher, descendre de voiture…

Une impatience mal contenue altérait le visage de M. de Lostains.

— Mais tu n’es pas le domestique de ma tante !

— C’est vrai, mon colonel ; mais je n’ai pas osé lui désobéir.

— En vérité, murmura le colonel, ma tante devient tout à coup d’une exigence incroyable… insupportable…

— Vous comprenez, mon colonel ?

— Eh bien ! fallait-il pour cela être quatre heures absent ?

— Mais, mon colonel, le sermon a duré près de quatre heures.

— Quatre heures au sermon !… Je ne savais pas ma tante si dévote, malgré sa conversation si légère… ses principes si faciles… Elle me trompait peut-être… ou plutôt, pour ne pas me contrarier, elle affectait, comme tu le dis, cette morale indulgente… plus qu’indulgente… Ah ! elle a jeté le masque ! Quatre heures au sermon !

— Ah ! monsieur le colonel, c’est que le prédicateur a dit un tas de choses bien belles… Je n’y ai rien compris. Je me disais pourtant : Le colonel doit rager dans sa peau.