Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/219

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— Pas si bête ! s’écria le colonel.

— Trop spirituel ! murmura Poliveau.

— Je réponds de cette manière, parce qu’on m’a dit qu’elles coûtaient bien cher ; est-ce vrai ?

— Demandez à Poliveau.

Victoire se retourna brusquement du côté du valet de chambre et lui dit.

— Est-ce que ce légume-là coûte plus de vingt sous la livre ?

— Quarante-cinq francs la livre cette année.

— Quarante-cinq francs ! s’écria Victoire en arrêtant entre ses jolies dents de souris la truffe d’assez belle grosseur qu’elle allait croquer.

Cette extase, dont le milieu était occupé par une truffe, faisait un tableau charmant. Et Victoire, dans ce moment, malgré sa prudence toujours tenue en baleine par la prudence et les apartés de Poliveau, flamboyait de gaieté et d’animation. Ses yeux, ouverts de surprise et pleins d’éclairs ; donnaient à son visage l’aspect d’une figure de bacchante qui veut à la fois faire rire et faire aimer, amuser le vieux Silène et l’enivrer de désirs. Il ne lui manquait que la grappe dans la main et le pampre vert au front.

Jamais le colonel n’avait trouvé que son vin lui portait tant à la tête.

— Ne remuez pas ! s’écria-t-il à Victoire, restez ainsi encore un instant, je vous en conjure, je vous en supplie !!!

Il avait les bras levés d’admiration devant cette jolie bouche ouverte autour de cette truffe noire comme une bille d’ébène.

— Ça chauffe ! dit Poliveau à Victoire en se baissant pour ramasser la serviette qu’il avait laissé tomber de son bras. Attention !

— Ma chère Victoire, poursuivit le colonel, qui roulait