Page:Gozlan - De neuf heures à minuit, 1852.djvu/94

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— Venez, passons au jardin.

Dès que j’eus mis le pied dans ce jardin, je retombai dans le rêve qui m’avait surpris en voyant de loin Broek et ses pagodes.

Tous les arbres étaient dorés depuis le pied jusqu’à la plus haute, branche ; les feuilles ne l’étaient pas, et elles empruntaient un indicible effet du voisinage de cet or. Je n’approuvai pas cette manière de costumer les arbres eu chambellan, mais je n’étais pas là pour faire une théorie du goût ; les réflexions viendraient plus tard. Heureusement les fleurs n’étaient pas dorées, et je ne les trouvai que plus belles, quoiqu’il me fût impossible de vous dire le nom d’une seule. Je ne sais ni le chinois, ni le tartare, ni le télinga, ni le pacrit, ni le phalou. Contentez-vous, de savoir que quelques-unes ont coûté dix mille francs. Que je n’oublie pas de vous dire une autre circonstance qui me frappa en pénétrant dans ce jardin, auprès duquel ceux du Tasse sont des champs de navets : un instant il me sembla bizarrement peuplé. Mon impression n’était pas complètement fausse. Le jardin, était plein de lions, de tigres, de panthères, de rhinocéros faits en bois ou en terre, mais peints avec des couleurs comme ces animaux n’en ont jamais eu sur la terre. La panthère était aurore boréale, le tigre azuré, avec des étoiles sur le dos ; le lion était vert glacé. J’ai vu un renard fait avec des branches de corail, et un moulin dont le sommet était une immense éponge. Est-ce que ces gens-là ne sont pas fous ? Non, ils sont trop riches. Si jamais nos épiciers français égalent en richesses ces nababs hollandais, ils auront aussi des panthères aurore boréale et des chaumières pain d’épice.

Je n’ai pas besoin de vous dire que mon hôte paraissait s’ennuyer horriblement au milieu de ses chinoiseries ruineuses. Son mal me gagnait ; j’aurais voulu un peu de