Page:Gozlan - Les vendanges, 1853.djvu/11

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quât, j’étais tout à la fois gauche et ému. C’est ordinairement dans ces moments de poésie que les voleurs, gens très-peu lyriques, vous dévalisent sans vous faire éprouver la moindre douleur. Pour mon compte, ils m’auraient enlevé mon habit, que longtemps, après j’aurais encore cherché mon mouchoir. Dans mon naïf embarras, au milieu d’un monde si divers, il me souvient d’avoir fait des excuses à un cocher de fiacre qui m’avait donné mon baptême de boue, et qui me l’avait administré à la manière de saint Jean, — de la tête aux pieds. On m’avait dit que les Parisiens étaient fort polis, je ne voulais pas être en reste de civilité avec eux. Vous décrire consciencieusement les détails et les nuances de mon adoration pour les merveilles des boulevards, afin de vous engager à aller vous assurer, par vous-mêmes, si cette adoration était légitime, cela me serait impossible. Quand on n’aime plus on ne se souvient plus. Peut-être je passe fort indifférent, et la tête basse aujourd’hui, à côté de ces pagodes de mon enthousiasme. J’imagine aussi qu’un peu de fierté soutient cette indifférence qui n’est pas sans affectation. Franchement, je crains d’avoir à rougir pour des heures entières écoulées devant des marchands de briquets phosphoriques, le cœur plein de mépris pour les boutiques de ma patrie. Je ne saurais vous dire davantage le chemin dont je fatiguais mes jambes chaque jour, dès que le soleil se levait sur Paris, ou dès qu’il était censé se lever, jusqu’au moment où il disparaissait derrière un horizon de tuiles. Les omnibus n’existaient pas encore.

Quand je fus un peu rassasié, je ne réalisai plus que deux ou trois fois par jour le trajet de la Bastille à la Ma-