Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/265

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Française, froide par tempérament et coquette par vanité, voulant plutôt briller que plaire, cherchant l’amusement et non le plaisir ; en toute chose elle porte une sensibilité extrême, et cette sensibilité lui donne une activité d’imagination difficile à modérer : le besoin d’aimer la dévore. Ce tempérament qui exalte son cœur et ses sens emporte aussi parfois son caractère. Qu’on lui dise un seul mot qui la blesse, son cœur se gonfle ; un peu trop poussée, cette humeur dégénère en mutinerie, et alors elle est sujette à s’oublier. Telle se montre Sophie à quinze ans ; et dès ce moment elle est ce qu’elle doit être. L’année pendant laquelle Émile commence son éducation ne la change point. Les leçons qu’il lui donne effleurent à peine son esprit et glissent sur son caractère. Elle est impérieuse, exigeante ; elle entend qu’Émile soit exact au rendez-vous : anticiper, c’est se préférer à elle ; retarder, c’est la négliger. Négliger Sophie ! cela n’arriverait pas deux fois. Émile n’a pas cessé de dépendre de son précepteur : c’est lui qui le marie. Sophie est maîtresse d’elle-même ; c’est elle seule qui réglera son sort, et elle dédaignerait un cœur qui ne sentirait pas tout le prix du sien, qui ne lui sacrifierait pas son devoir, qui ne la préférerait pas à toute autre chose. « Le grave Émile est le jouet d’une enfant. » Le mariage accompli, on sait comment cette enfant, oubliant ses serments, le trahit.

« Insensé, quelle chimère as-tu poursuivie ? Amour, honneur, foi, vertu, où êtes-vous ? La sublime, la noble Sophie n’est qu’une infâme ! » s’écrie Émile dans le premier transport de sa douleur. Et il se demande quelle est la cause de la catastrophe. Dans l’épilogue si curieux et malheureusement inachevé des Solitaires, Rousseau